Traduction

mercredi 24 juin 2009

INTRODUCTION



La francophonie et la présence outre-marine ont une image néocolonialiste, d’inutilité et de ringardise face à l’anglophonie, particulièrement dans les milieux élitistes français.
Une croyance populaire explique la francophonie comme une continuité de la colonisation alors qu’elle est née de la volonté de Senghor, Bourguiba, Diori et Sihanouk, hommes d’états du Sud, qu’elle est également liée à la conquête des océans et des mers.

La signature par l’Unesco de la convention reconnaissant le principe du respect de la diversité culturelle et linguistique révèle une paradoxe : le thème de la diversité culturelle, en opposition à l'hégémonie américaine, est populaire, contrairement à celui de la défense de la francophonie, lusophonie ou hispanophonie.

La mondialisation est économiquement inévitable, mais personne ne souhaite lui sacrifier son identité culturelle. La francophonie en proposant une mondialisation plus humaniste et qui valorise la diversité culturelle peut trouver sa place dans le contexte global actuel.

Après l’expansion de la francophonie liée à la colonisation et à la conquête de la Terre (du 17ème au 20ème siècle), après la création officielle de la francophonie (en 1970) et le vote sur la protection de la diversité culturelle (en 2005), Wolton propose d’envisager la francophonie d’aujourd’hui comme une cohabitation pacifique des diverses identités culturelles qui a un rôle à jouer dans le contexte de la mondialisation.

Cette francophonie, lien entre langue et valeurs universelles peut servir la mondialisation autant que la mondialisation peut la servir. Les aires culturelles peuvent être médiatrices de paix et d’intercompréhension et la francophonie peut proposer une nouvelle vision du monde.

La France valorise peu son expérience de société multiculturelle liée à l'immigration et aux territoires outre-marins. Cette diversité culturelle devrait pourtant être une source de fierté car elle ouvre le pays au monde.
En valorisant la francophonie, la France propose une nouvelle mondialisation basée sur la cohabitation pacifique des identités culturelles.

CHAPITRE 1: LA DIVERSITE CULTURELLE, LA NOUVELLE FRONTIERE



La mondialisation économique a créé des inégalités et donc des mouvements qui la remettent en cause. Les oppositions Nord/Sud et Ouest/Est, la remise en cause de l'Occident par le fondamentalisme religieux révèlent que la mondialisation de l'économie subit un manque de projet politique, favorise les inégalités et les conflits culturels. Cette ouverture au monde, en politisant les enjeux culturels a révélé la nécessité de respecter la diversité culturelle, comme l'a reconnu l'Unesco en 2005.


Bien qu'elle soit considérée après l'économie, la politique et la société, la culture devient un enjeu majeur de la mondialisation. Or c'est sur la culture et les valeurs que les hommes ne sont pas prêts à transiger. Il est donc important de penser à la façon de gérer ces contradictions et revendications.


1/ Les ruptures de la mondialisation


La mondialisation a multiplié les échanges humains et d'informations avec le tourisme et les nouvelles technologies de l'information et de la communication. Mais avec les lois du marché et la concentration des capitaux, elle a favorisé la rationalisation économique. En ouvrant les sociétés les unes aux autres, elle a favorisé la déstabilisation des identités culturelles, la perte de repères identitaires et donc l'apparition de conflits culturels. Il y a donc un paradoxe : les distances physiques se réduisent de plus en plus mais leur mise en contact révèle les distances culturelles humaines. Il est donc primordial de replacer l'homme, sa culture, sa langue au cœur de la mondialisation. Cohabiter avec l'autre tout en préservant sa propre identité est un défi majeur de la gestion de la diversité culturelle.


2/ Les risques du triangle infernal : identité, culture, communication.


La mondialisation politique et économique peut entraîner une montée des fondamentalismes culturels, un repli communautaire où l'identité culturelle deviendrait une identité refuge. Wolton propose la construction d' identités culturelles relationnelles qui aident à la cohabitation pacifique des différentes cultures. Les aires linguistiques peuvent maintenir l'équilibre de la diversité culturelle, nouvelle frontière de la mondialisation. Envisager la diversité culturelle, c'est revendiquer la cohabitation pacifique des identités culturelles et donc les droits de l'homme. Les organisations internationales doivent prendre en compte cette valeur pour mettre en place cette cohabitation. Par leur caractère mondial et potentiellement universel, les aires linguistiques ont un rôle à jouer dans la lutte contre le repli identitaire.


La mondialisation de la communication doit prendre en compte les récepteurs des informations. Cela suppose de les connaître et les respecter. Le rôle des pouvoirs politiques n'est pas juste de réduire la fracture numérique mais d'organiser la cohabitation culturelle et donc de se poser des questions essentielles sur l'acceptation de l'altérité, l'utilité des réseaux. Wolton propose une société de communication à la place de la société de l'information afin de prendre en compte l'égalité des partenaires, le respect mutuel et l'apprentissage de la négociation. En effet, il faut revoir les modèles de communication et les adapter au monde actuel.


Le modèle de la mondialisation est actuellement descendant mais il faut envisager pour le futur qu'il soit ascendant. Il faut prendre en compte les sciences sociales pour prendre l'autre en compte. Comprendre l'autre ce n'est pas juste lui imposer notre point de vue grâce aux technologies.


3/ Les aires culturelles au cœur de la troisième mondialisation


Les grandes aires linguistiques étaient au départ liées à une volonté de puissance. Avec la mondialisation et la diversité culturelle, elles se transforment en outils pour favoriser la cohabitation et la diversité. Chacune connaît déjà la problématique de la diversité grâce à ses propres hétérogénéités. Le défi de la nouvelle mondialisation proposée par Wolton est de savoir si les grandes aires seront capables d 'être le troisième pilier de la mondialisation et de structurer la cohabitation des identités culturelles.


La construction de cette nouvelle mondialisation passe par l'identification et la connaissance des aires linguistiques afin de mettre en valeur le fait que d'autres mondialisations ont déjà existé, d'étudier les représentations liées à ces aires, les liens qui les unissent ou les éloignent. Le but est de prendre conscience de la richesse des langues et donc des cultures.


Les aires linguistiques donnent une nouvelle vision de la mondialisation, elles ne respectent pas les limites des frontières, sont beaucoup plus imprévisibles. Chacune a ses forces et faiblesses. Si elles ne suscitent pas l'intérêt des masses, on peut espérer que ça viendra. Le tourisme de masse va peut être y contribuer en favorisant l'intercompréhension.


Wolton souligne le paradoxe suivant: l'anglais est vanté pour être la langue internationale, le moyen universel de communiquer au moment où l'Unesco signe la reconnaissance des langues. C'est en effet une langue qui est utile dans les échanges internationaux mais il ne faut pas s'en contenter ni croire qu'elle va éradiquer les autres langues. Il convient donc de la maintenir en parallèle aux autres langues. La domination de l'anglais se situe principalement au niveau de la mondialisation économique. En ce qui concerne la politique et la culture, les autres langues ont des revendications multiples qui risquent d'augmenter. Pour souligner ce paradoxe, l'auteur explique que lors de problèmes importants à l'ONU, chacun parle sa propre langue. L'anglais est donc une langue de communication pour des discussions fondamentales mais les hommes préfèrent parler dans leur langue.


Deux principales revendications découlent de la position dominante de l'anglais:

- augmenter le nombre de langues apprises, le plus tôt possible, favoriser l'apprentissage des langues régionales. Ainsi, la mondialisation s'accompagne de la sauvegarde du pluralisme linguistique.

- mettre en place une politique systématique de traduction qui permette une compréhension authentique entre les langues. La traduction permet d'élargir la vision du monde, d'éveiller la curiosité, l'intérêt à l'autre. Cette politique de traduction permettrait de prendre conscience de la force de la diversité linguistique de l'Europe.

CHAPITRE 2: LA MONDIALISATION, UNE CHANCE POUR LA FRANCOPHONIE



La mondialisation permet à la francophonie de sortir du cadre de la colonisation, de s'élargir. Elle lui permet d'être acteur de la diversité culturelle. Sa valorisation n'est pas seulement linguistique. Valoriser la francophonie, c'est défendre des valeurs universelles, ce qui lui donne un statut mondial. C'est également la défense du pluralisme linguistique car le français n'est pas langue première dans tous les pays de l'OIF.

1/ Revisiter les histoires

Les racines de la francophonie ne viennent pas seulement de la colonisation. Elles viennent aussi des explorations, des comptoirs etc. L'expansion religieuse a aussi joué un rôle important dans le développement de la francophonie en relatant des faits par écrit. Wolton propose donc de ne plus réduire la francophonie au stéréotype de la colonisation et d'éviter de juger la construction de la francophonie avec nos regards de démocrates du 21ème siècle.

Connaître l'histoire de la francophonie peut être un éveil à la conscience mondiale afin de mieux comprendre comment ont été tissés les liens de la mondialisation. Wolton insiste sur l'importance de la connaissance de l'histoire commune qui unit les anciens pays colonisés aux anciens pays colonisateurs : c'est en assumant cette histoire commune que la cohabitation culturelle et mémoriale pourra être organisée. La francophonie s'est construite au sein d'une histoire mondiale. L'histoire de l'immigration en fait partie, elle a favorisé la croissance européenne. Il est essentiel de connaître ces moments de l'histoire, d'en comprendre certaines nuances, sa diversité. Pour lutter contre une vision unilatérale de cette construction de la francophonie au sein du monde, il convient de dialoguer, d'impliquer l'école, de commémorer l'histoire, c'est-à-dire de rouvrir l'histoire et de débattre sur la place publique.

Il est également important de comparer les modèles de colonisation dont les réalités historiques et culturelles sont diverses afin de construire une histoire européenne commune. La question du racisme et de l'esclavagisme est aussi à étudier. La comparaison est donc essentielle pour la connaissance de l'histoire de la francophonie et pour assumer une histoire commune.

2/ Les trois cercles : institution, société civile et militantisme.

C'est en 1970, avec la création de l'Agence de coopération culturelle et technique que commence la construction intergouvernementale de la francophonie. Les élites françaises semblent s'y être moins intéressés qu'à la construction européenne et avoir manqué d'intérêt pour la place de la France dans le monde. L'ouverture au monde, à la francophonie et aux outre-mers a été négligée alors que la France, paradoxalement, s'est battue pour la diversité culturelle! Jusqu'à présent, les histoires de la mondialisation, de la francophonie et de la diversité culturelle n'ont jamais été reliées entre elles.

Il est important que la francophonie conserve les liens entre institution, société civile et militantisme et d'éviter que l'institution mondiale écrase les deux autres.
Ce contact est nécessaire pour la préservation des racines sociétales et culturelles de la francophonie et pour éviter que les intérêts culturels et politiques prennent le pas sur le linguistique. Wolton rappelle ici que le rôle des aires linguistiques est basé sur la défense d'une langue dans le monde et que la reconnaissance de la diversité culturelle n'est pas suffisante pour y parvenir.

Le militantisme linguistique est assuré par les individus qui choisissent de parler une langue. Les premiers militants sont les enseignants qui transmettent leur connaissance de la langue et n'en tirent généralement que peu de bénéfices. Ce réseau militant est le plus grand de tous. Leur action et celles des différents organismes de diffusion de la francophonie prennent un sens quand les gens parlent français. En la faisant réfléchir à son histoire, en l'ouvrant aux différentes variétés du français, la mondialisation redynamise la francophonie, l'ouvre au monde, la modernise. Wolton plaide pour la diversité culturelle au sein même de la francophonie, pour un accueil des francophones dans des structures d'accueil, pour la création d'un Erasmus francophone et d'une université francophone dans les capitales mondiales.

La francophonie a une image vieillie. Il serait judicieux de la rajeunir, de la dynamiser afin de lui donner une image positive au yeux du monde, des francophones et des français. La mondialisation de la politique favorise les échanges internationaux mais la francophonie doit avoir aussi un rôle économique avec une présence dans des domaines variés : sport, nouvelles technologies, presse, médias mondiaux, industries culturelles, bases de connaissances, recherche scientifique, coopération universitaire, économie des déplacements, consommation, style de vie, représentations et imaginaires etc. La présence et la visibilité de la francophonie dans des domaines aussi variés peut lui attirer un public plus jeune, dynamique.

3/ Fraternité contre communautarisme.

Wolton dément l'idée que la diversité culturelle peut être vecteur de communautarisme. Les aires culturelles créent au contraire une cohabitation pacifique et une solidarité alors que le communautarisme crée l'isolement.

En réponse au syndrome identitaire, la francophonie propose la solidarité que lui impose sa propre diversité culturelle, la nature même de sa langue et sa composition (quelques pays riches pour une majorité de pays pauvres). Toutes les aires culturelles sont confrontées à cette lutte face au communautarisme. L'histoire et la société montrent que cette solidarité n'est pas toujours effective, dans un sens comme dans l'autre.

La diversité culturelle a un enjeu essentiel : la cohabitation pacifique d’identités culturelles qui ont apparemment plus de divisions que de ressemblances. La laïcité s’impose à la francophonie car le fait religieux occupe une place de plus en plus importante dans la politique internationale.

Les aires linguistiques sont donc au cœur de la problématique de la diversité culturelle et de la cohabitation pacifique des identités culturelles mais leur rôle est différent de celui des instances internationales et des états.

CHAPITRE 3: LA FRANCE, LES ATOUTS



Malgré ses discours, une réalité sociale et des représentations culturelles fortes, la France, en particulier ses élites et hommes politiques, n’agit pas comme une société multiculturelle à tradition politique, artistique, engagée dans la lutte pour les droits de l’Homme, la diversité culturelle, la mondialisation et la francophonie. Elle semble au contraire ne pas assumer l’ouverture au monde qu’elle devrait pourtant revendiquer.


L’identité française face à la mondialisation dévalorise sa réalité multiculturelle, liée à l’immigration et aux outre-mers, et souffre de l’amoindrissement de son modèle d’intégration républicain. La méconnaissance de l’histoire liée aux traumatismes de la colonisation, le manque de dialogue et de débats publics renforcent ce phénomène.


1/ Ouvrir les fenêtres, retrouver les filiations


Le concept du modèle républicain n’est pas toujours à la hauteur des valeurs qu’il proclame. L’intégration qu’il propose garde un côté condescendant, paternaliste envers les populations issues de l’immigration ou outre-marines. Un modèle plus ouvert qui reconnaîtrait les apports mutuels et la pluralité des sources de l’identité française offrirait plus de respect et d’échanges. Cette reconnaissance de l’élargissement de l’identité française pourrait contribuer, en aidant à la construction d’une société multiculturelle, à lutter contre le nationalisme et le communautarisme.


On peut distinguer au moins trois langues françaises :

- La langue française classique, à laquelle on peut ajouter les langues de France, régionales ou minoritaires, parlées sur le territoire de la République.

- Les langues de la francophonie sont parlées par la majorité des francophones du monde qui enrichissent ainsi la langue classique française.

- La francosphère, expressions francophones véhiculées dans le monde par la mode, le commerce, les idées ou la politique et porteuses de représentations sur la France et la francophonie.

Ces trois sphères linguistiques sont à encourager car elles révèlent la diversité de la langue, sont porteuses d’histoire, d’imagination, de voyage linguistique et d’ouverture culturelle.


2/ Trois clefs pour la cohabitation culturelle


Une identité multiculturelle forte, liée aux outre-mers et à l’immigration serait un atout politique fort pour réhabiliter le modèle républicain. Le lien crée par le partage d’une langue est dévalorisé par les autorités, à l’instar de la langue des banlieues.



Celle-ci est utilisée et comprise par une grande partie de la jeunesse. L’exclusion provoque un processus de création et par là même d’intégration qui révèle l’enjeu politique de la langue. La valorisation aussi bien interne qu’externe de la francophonie aide à lutter contre le racisme, l’exclusion et le populisme et appelle à la tolérance. Les artistes, certains rares parlementaires ainsi que les médias de coopération internationale francophone participent à la valorisation de ces francophonies.


On peut remarquer la discrétion de la francophonie dans l’espace public français. En parler davantage pourrait pourtant élargir certaines visions du monde et contribuer à élargir sa conception de la démocratie ou de mieux comprendre les rapports que le monde entretient avec la laïcité.


En accord avec son principe de solidarité, la francophonie contribue économiquement au développement durable du fait que la majorité de ses membres fait partie des pays les plus défavorisés. La sensibilisation des entreprises mondiales aux enjeux politiques et économiques de la francophonie pourrait contrebalancer le modèle de gestion anglo-hollandais-américain et ainsi promouvoir la diversité face à l’uniformisation du modèle capitaliste. L’auteur propose la création d’un club francophone des grandes entreprises qui contribuerait au développement durable, au respect des identités sociales et politiques.


La France dispose d’un important réseau de centres culturels et d’Alliances Françaises qui pourrait promouvoir la diversité culturelle si les moyens n’étaient pas constamment réduits à cause du manque d’ambition concernant la mondialisation. Wolton propose un renforcement de l’enseignement du français, en France et dans le monde qui offrirait une ouverture aux langues de la francophonie intérieure et extérieure. Il regrette que les auteurs français ne se considèrent pas davantage comme francophones et que les universités françaises ne disposent généralement pas de département d’études francophones. Il propose en fin la création d’un réseau pour la recherche scientifique et technique francophone qui pourrait devenir un outil de coopération et de solidarité et contribuer à l’ascenseur social.


3/ Sortir du masochisme


En se repliant sur elle-même et sur l’Europe, et en négligeant ses racines mondiales historique, la France se soustrait elle-même à une envergure mondiale qui renforcerait son rôle européen tout en lui donnant une image de puissance solidaire. En sous-estimant l’apport retour de la francophonie à la France, elle néglige l’apport philosophique, politique et surtout l’ouverture mondiale que lui procurerait une valorisation de la diversité culturelle.


Il n’existe aucun espace public francophone dans le monde où les francophones pourraient discuter et comprendre les enjeux et controverses liés à la francophonie. Cet espace public pourrait s’exprimer à travers une presse francophone. Mais seule la voix officielle s’exprime, laissant l’impression que la francophonie est un organe strict, rigide peuplée de bureaucrates mais pas de gens réels qui parlent français. Il est donc important de laisser une plage d’expression pour que tous les francophones du monde puissent s’exprimer.


Les médias francophones brillent par leur absence. Seules quelques radios fournissent des émissions francophones de qualité et les émettent dans le monde. TV5 Monde ainsi que son site Internet est la seule télévision francophone diffusée dans le monde mais peu de pays riches acceptent de la financer (80 % d’investissements français). Malgré des bonnes volontés, cette chaîne ne montre pas suffisamment les enjeux de la communauté politique et de la mondialisation. Ce cas pointe à nouveau le paradoxe de la France qui se bat pour la diversité culturelle mais de promeut pas de chaîne francophone, à l’instar de CNN ou Al Jazira. Les instances de coopération existantes sont insuffisantes pour renforcer la coopération francophone publique ou privée.On ne trouve pas non plus sur Internet ou entre les maisons d’éditions de collaboration pour un mouvement francophone international. Seule la musique s’internationalise, crée une identité francophone.


En France, beaucoup trop d’institutions s’occupent de la francophonie, malgré des tentatives pour simplifier tout ça. On peut parler d’un véritable labyrinthe administratif qui gagnerait en efficacité s’il était repensé. Le manque d’intérêt général pour la francophonie explique que rien n’est fait en ce sens. Wolton propose d’exercer des pressions sur le gouvernement pour faire avancer les choses, à l’instar des écologistes qui ont fait créer un ministère.

La baisse constante des crédits et des moyens humains pour la politique extérieure accentue le problème de la francophonie, mais peu de personnes s’agitent pour retourner la situation. Il est pourtant évident que la France ne peut pas espérer avoir un rayonnement mondial si elle n’y consacre pas suffisamment de moyens financiers.


Le partage d’une langue commune peut être un facteur de rapprochement entre les communautés culturelles et artistiques, mais la France a du mal à opérer cet assemblage. Malgré une vocation historique d’universalité et de défense de la diversité culturelle, sa frilosité et sa politique trop institutionnalisée l’empêchent de réaliser ce rapprochement qui semble pourtant évident. Elle se heurte en plus à ne attitude qui interprète toute action culturelle extérieure comme du nationalisme ou du néo-colonialisme.


Les élites francophones communiquent peu entre elles, préférant se tourner vers la plus moderne anglophonie. Elle n’aident donc pas du tout la francophonie et favorisent l’hégémonie anglo-saxonne. De nombreux diplomates, hommes d’affaires, universitaires, scientifiques, commerciaux privilégient l’anglais. Les élus sont les seuls à revendiquer la langue française et donc de favoriser la diversité culturelle. Il est primordial que les élites françaises et francophones prennent la mesure de l’importance de la francophonie et qu’elles jouent un rôle actif pour la défendre.

CHAPITRE 4: FRANCOPHONIE: LES ENJEUX



La cohabitation culturelle, malgré les difficultés, représente un enjeu politique central de la francophonie. La troisième francophonie, confrontée à l’ouverture de la mondialisation, doit dépasser les limites de la deuxième. Sa force est de s’appuyer sur les liens langue/valeurs, en défendant les trois langues françaises et les valeurs politiques autour de la démocratie, des droits de l’homme, de la laïcité et de l’éducation.


1/ La troisième francophonie

Il y a une nécessité de la définir. D’abord, penser en terme de francosphère qui ne met l’accent pas uniquement sur la maîtrise de la langue mais aussi sur la sympathie à l’égard de cette langue et des valeurs liées, sur la société civile et le militantisme. L’enjeu de la francophonie est bien sûr la capacité à élargir « la base populaire » en obtenant plus de poids dans la société civile. Pour cela, son défi est économique d’une part, éducatif de l’autre. Wolton met l’accent sur la nécessité d’un élargissement aux trois langues et de la création d’une carte de la nouvelle francophonie visant à privilégier la communication par des dialogues horizontaux.

Les jeunes doivent être présents dans cette nouvelle francophonie. Elle doit inventer une nouvelle manière de faire, autre que l’ONU et les ONG, pour mettre en avant les trois langues mais aussi d’autres moyens de communication tels que les arts. La francophonie doit élargir son champ pour créer un patrimoine commun et accessible par tous.

2/ Un changement de braquet indispensable

La francophonie doit s’organiser des états généraux pour se donner un symbole. Des états généraux pour que les milliers de francophones s’expriment, proposent des projets pour construire cette nouvelle francophonie du XXIème siècle.
En attendant ces états généraux, la francophonie doit privilégier trois axes :

- Eviter la lutte des classes à l’échelle mondiale ; pour cela, convaincre les entreprises mondialisées qu’elles en sont les premiers agents, dépasser le capitalisme classique, la reconnaissance de l’égalité des sociétés, cultures et des hommes par les multinationales, la revalorisation des syndicats. Tout cela évidemment, doit s’inventer en laissant de côté le modèle anglo-saxon.

- Valoriser l’éducation ; réduire les inégalités face au savoir en installant un bac francophone donnant accès à l’enseignement supérieur français, multiplier les lycées français, inventer les lycées francophones, etc. La nouvelle francophonie c’est aussi des lieux de rencontres pour que les hommes échangent, se comprennent un peu mieux. Les aires culturelles peuvent favoriser une autre manière d’aborder le savoir et la connaissance.

- Mettre en place de grands projets culturels : favoriser les industries culturelles nationales pour les productions artistiques et communicatives : presse, cinéma, musique, danse, etc. La mondialisation peut s’atteindre que grâce à la valorisation des racines. La francophonie doit permettre de comprendre ce qui sépare les cultures et en même temps les passerelles qui existent entre elles. Aussi important que l’éducation et le développement durable, il doit être mis en place un grand projet de coopération internationale des médias et de la communication.

- Parallèlement à ces trois axes, il y a un besoin de réveiller les élites francophones : diversifier les élites, les renouveler et les valoriser.


3/ Les chantiers urgents

La francophonie doit élargir le cercle des propositions ; développer la coopération décentralisée comme le font les collectivités territoriales françaises, créer un « club de recherche » en transformant et valorisant le Haut Conseil de la francophonie pour confronter les projets, préparer la prochaine étape de la francophonie, impliquer les grandes entreprises mondialisées pour la recherche et l’éducation en supposant une autre politique des visas. Par exemple, créer un Erasmus francophone Nord/Sud et Est/Ouest.

Il semble indispensable de reconsidérer l’immigration et reconnaître sa richesse. Cela passe par une valorisation de toutes les traditions qui ont fait la francophonie en assumant le passé des deux guerres mondiales jusqu’à l’immigration massive des années 60. C’est aussi interroger la République sur ce qu’elle a offert aux populations immigrées. Le rap exprime justement la demande de reconnaissance de toute une génération. La question de l’immigration fait naitre celle du communautarisme ; nier les identités mène au retour du communautarisme. La francophonie doit rappeler que la France n’est pas seulement blanche et le modèle d’assimilation doit être enfin abandonné, elle doit aussi débattre de la laïcité en terme de laïcité de cohabitation pour lever les tabous.


La francophonie ne peut avancer qu’en élargissant le cadre de la démocratie. Elle doit travailler dans le sens d’un patrimoine commun fait d’un imaginaire partagé, condition d’une véritable communication. Or, on remarque la grande faiblesse de la francophonie en matière de communication, surtout en France. Pour l’améliorer, il faut créer un espace public francophone, espace de communication entre différents acteurs (chanteurs, sportifs, journalistes…) pour créer des rituels communs. Il faut une mobilisation populaire pour faire que la francophonie dépasse le cadre institutionnel. Cet espace est essentiel pour que les cultures cohabitent, que les hommes échangent, que la francophonie s’actualise. La valorisation de l’Europe en est une condition, parce qu’elle représente le plus grand chantier de cohabitation culturelle démocratique dans le monde.

CHAPITRE 5: EUROPE: L'AUTRE AVANT-GARDE



Pourquoi l’Europe ? Elle présente les mêmes défis que la francophonie et la diversité culturelle. Onze pays font parties de ces deux organisations : l’OIF et L’Europe. L’Europe doit répondre à deux questions ; Comment s’élargir sans mettre en cause l’identité et l’union ? Comment construire la cohabitation culturelle interne ? La francophonie doit se poser les mêmes questions.


1/ Les autres racines mondiales

Un même défi pour l’Europe et la francophonie : reconnaître l’histoire, l’accepter et en faire un atout. L’Europe a subi en cinq siècles de nombreuses fluctuations des frontières culturelles et linguistiques et la valorisation des aires linguistiques passe par une meilleure connaissance de l’histoire entre le XVIIème et XXIème siècle. C’est une nécessité pour les Européens de donner aux peuples dont l’histoire est mal connue les moyens de se réapproprier leur histoire : les Portugais à Macao en Chine, les Hollandais dans les Indes orientales, le vice-Royaume de nouvelle Espagne, la conquête de Mombassa et l’installation du sultan de Zanzibar par les Omanais contre les Portugais…

Il ne faut pas concevoir l’histoire comme un retour vers le passé mais bien comme une manière d’aborder la troisième mondialisation et l’avenir. L’histoire mondiale doit être considérée comme une archéologie de la connaissance.

L’histoire de l’Europe doit être, elle aussi, redécouverte. L’Europe élargie d’aujourd’hui ne fait que retrouver des frontières du XVIIe et XVIIIe. L’histoire est présente dans notre vie quotidienne, au coin de la rue, près des mosquées et des églises. Les Européens doivent assumer leur histoire, c’est une nécessité.

Cette histoire, elle est présente dans les institutions actuelles de l’Europe mais reste ignorée. La politique menée en faveur des RUP (régions ultrapériphériques), des PTOM (pays et territoires d’outre-mer) et des pays ACP (Afrique Caraïbes-Pacifique) est mal connue. Ce n’est pas juste une question d’économie, les européens doivent prendre conscience que ces territoires sont une partie des racines culturelles et politiques de l’Europe dans le monde. Il faut y voir là une chance pour la francophonie, un moyen d’appréhender l’altérité et le multiculturalisme. L’Europe est dans ce cadre à l’avant-garde d’une autre mondialisation mais ne saisit pas l’opportunité. Modernité et histoire sont indissociables, elles n’ont pas lieu l’une sans l’autre.


2/ Les atouts de la diversité culturelle

L’Europe, lieu de diversité culturelle par excellence avec ses vingt et une langues pour vingt-cinq états, doit changer de logique. A la naissance de l’Europe, valoriser les différences était trop risqué dans la démarche de construction. Aujourd’hui, c’est le contraire, il faut reconnaître la diversité culturelle qui est la spécificité de l’Europe.

Le principe du multilinguisme de l’Union européenne a été établi dès 1958 et indiquait le devoir de respect de la diversité culturelle et linguistique et le développement du patrimoine culturel européen. L’Europe doit aujourd’hui réfléchir aux liens qu’elle entretient avec le Commonwealth, la francophonie, la lusophonie… et gérer la diversité culturelle en coopération avec la souveraineté des états. Selon les Européens, les trois les plus utiles à connaître sont l’anglais (69%), le français (37%) et l’allemand (26%). L’anglais domine largement mais l’Europe devrait favoriser l’apprentissage de trois langues et faciliter massivement les traductions. Or, le coût actuel des traductions par Européen et par an revient au prix d’une tasse de café. La nécessité d’une diversité linguistique est ici sous-estimée pour aller vers la promotion de l’apprentissage des langues. L’Europe doit développer les solidarités linguistiques pour favoriser les échanges culturels ; le cas des langues romanes, qui représentent 200 millions de locuteurs sur 470 millions d’Européens, est un regroupement linguistique qui doit être valorisé.

L’Europe est un paradoxe ; elle est l’archétype d’une diversité culturelle à respecter et le lieu d’une certaine unité culturelle malgré la diversité linguistique. C’est en cela qu’elle illustre un lien unique entre langue, culture et valeur. La francophonie dans l’Europe se trouve favorisée par l’élargissement, elle s’ouvre à la francosphère qui concerne le troisième niveau de la langue française.


3/ Cinq priorités pour l’Europe de demain

Elle doit assumer toutes les solidarités ; valoriser la diversité culturelle mais sans enfermer chacune des communautés dans son identité. La solidarité est la condition pour faire cohabiter vingt-cinq pays si hétérogènes.

La cohabitation ne peut se faire sans laïcité. Il faut instaurer un principe de laïcité qui reconnaît l’égalité des valeurs religieuses tout en maintenant distinctes religion et politique. L’enjeu est le même pour la francophonie qui réunit des peuples aux profondes différences culturelles et religieuses. La laïcité ne doit pas être tabou ; ce n’est pas ignorer le fait religieux, c’est au contraire lui reconnaître sa place, mais distincte de l’ordre du politique.

Le troisième chantier à mener est la question de l’immigration et de l’intégration. Le racisme, la ghettoïsation, les conditions d’intégration sont une gifle par rapport aux valeurs démocratiques de l’Europe. Or, l’immigration, avec plus de 20 millions d’immigrés, fait partie de l’identité de l’Europe mais il y a un gouffre entre le discours démocratique et les réalités. L’Europe doit ainsi revoir son modèle d’intégration pour reconnaître le respect et la dignité de l’autre. Le point commun entre les immigrés et le reste de la population dans chaque pays est le partage d’une langue ; c’est de là qu’il faut partir pour nouer d’autres rapports plus égalitaires et c’est d’ailleurs l’école qui se présente la seule instance réelle de diversité culturelle en Europe.
La classe dirigeante européenne ne souhaite pas aborder le sujet d’une politique concrète de discrimination positive ; on ne fait pas carrière en s’occupant de cela. Comme c’est le cas pour le refus du multilinguisme et la tentation d’imposer l’anglais pour des raisons d’efficacité et de facilité.
Le dernier chantier touche les médias européens. Il n’y a actuellement pas grand-chose qui émane de l’Europe elle-même. Autant l’Europe est sensible à une politique culturelle du patrimoine, autant elle ne se mobilise pas pour une politique de communication. Il est nécessaire que l’Europe, pour poursuivre le projet de politique d’union, envisage une communication politique respectueuse de la cohabitation au sein de l’Europe et ouverte sur le monde.

CONCLUSION



La reconnaissance de la diversité culturelle à l’Unesco nous fait entrer dans la troisième mondialisation. La reconnaître c’est d’abord reconnaître les langues, leur légitimité. Cela constitue un objectif politique aussi important que l’éducation, l’environnement la santé… La troisième mondialisation, c’est bien gérer le triangle infernal identité-culture-communication.



Son enjeu est la cohabitation culturelle, le respect des dimensions culturelles. La culture, au cœur des conflits entre les hommes, doit aujourd’hui être un facteur de cohabitation et d’échanges. Les aires linguistiques sont à la fois produit de l’histoire et acteur de cette cohabitation à construire. Elles vont de pair avec la diversité culturelle et la troisième mondialisation.


L’Europe représente l’expérience la plus avancée de cohabitation culturelle. Par ses langues mais aussi parce qu’elle est le berceau d’un grand nombre des aires linguistiques actuelles. Avec la troisième mondialisation, les identités sont valorisées, l’histoire et la mémoire représente un atout. Elles sont des repères indispensables pour construire cette troisième mondialisation. Pas de construction non plus sans la valorisation des institutions, des sociétés civiles, du militantisme et sans le modèle démocratique. Enfin, on doit passer d’une société de l’information à une société de la communication en donnant l’importance à toutes les médiations assurant le lien entre les langues et les cultures. Certes, on a besoin de l’anglais utilitaire mais également du respect de la diversité linguistique.


La diversité culturelle pose le problème des relations entre les aires culturelles et au sein d’elles-mêmes. Il est donc nécessaire de travailler sur les conditions de communication. Elles sont le moyen de réaliser jusqu’où les peuples peuvent communiquer entre eux. On partage ce qu’on a en commun et on cohabite avec tout ce qui nous sépare. Communiquer revient alors à négocier, organiser la francophonie, c’est apprendre à négocier. La francophonie comme communication interculturelle doit reconnaître la complexité des modèles de communication.

Elle est confrontée à trois changements :

- Tirer les conséquences du 21 octobre 2005 à l’Unesco, c'est-à-dire accroitre la coopération entre les aires culturelles (Commonwealth et francophonie). La diversité culturelle est une condition d’une autre mondialisation, la diversité linguistique établit des ponts entre les peuples et les cultures.

- Veiller à conserver l’équilibre entre institutionnel, société civile et militantisme.

- Favoriser les multiples niveaux de langues ; introduire d’avantage les langues et les valeurs dans l’univers médiatique et des nouvelles technologies.

La francophonie se réinvente, s’élargit à la francosphère et doit pouvoir développer les valeurs démocratiques.


Dans la troisième mondialisation, le triangle infernal identité-culture-communication va modifier les rapports politiques, valoriser l’identité relationnelle. Les déplacements et les médias sont indispensables à la démarche vers l’Autre. La francophonie fait partie intégrante de la troisième mondialisation, elle complète le rôle de l’ONU et des unions régionales. Elle doit maintenir ses actions : institutionnel, société civile, militantisme et défendre les trois niveaux de langue. La francophonie ne doit pas rater sa mutation pour un nouveau monde francophone emmené par la jeunesse.